Autonomie stratégique : la France face aux pièges des programmes d’armement européens
Avion du futur, char de combat nouvelle génération : derrière l’ambition européenne, un risque bien réel pour la France. En partageant son leadership industrialo-militaire, la France pourrait perdre un atout majeur : son autonomie stratégique.
8/11/20256 min read


Depuis trois ans et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on parle d’un retour à la guerre de haute intensité, c’est-à-dire mobilisant un grand volume d’hommes, pendant de longues durées avec les technologies les plus avancées. Ce conflit nous permet de constater que la guerre devient de plus en plus complexe, avec le développement de nouveaux champs de bataille et la sophistication des outils technologiques utilisés. Dans ce contexte, peu de nations peuvent mener une guerre seules, et il peut s’avérer dangereux de manquer d’alliés fiables et durables, tant sur le plan militaire que diplomatique.
Depuis des années, certains en Europe soulèvent l’idée de mettre en place une force européenne ou, a minima, de développer des programmes d’armements communs : le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) et le MGCS (Main Ground Combat System). Le SCAF est un projet rassemblant la France (nation meneuse), l’Espagne et l’Allemagne pour créer un avion de chasse nouvelle génération qui devrait être opérationnel en 2040. Le projet MGCS, unissant la France et l’Allemagne (meneuse) doit aboutir à la création d’un char remplaçant le char Leopard 2, Allemand, et le char Leclerc, Français. Le projet prend du retard et les chars devraient être opérationnels en 2045.
Des projets aux retombées insuffisantes pour la France :
Si une telle initiative présente des avantages, à savoir renforcer l’interopérabilité des armées européennes, elle présente également de nombreux inconvénients.
La France est leader sur le projet du SCAF, bénéficiant notamment de son puissant tissu industriel aéronautique, s’appuyant notamment sur Dassault Aviation, groupe majeur du secteur aéronautique militaire. Elle accepte donc de laisser l’Allemagne meneuse sur le projet MGCS alors que la France dispose d’industriels suffisamment compétents pour prétendre à mener les deux projets de front. Il est ici créé un équilibre fictifs alors que la France pourrait assumer de mener les deux projets en vertu de la qualité de nos entreprises industrielles militaires et de la réputation de notre armée.
Pour chaque projet, une répartition des postes de travail sera effectuée. Ainsi, pour la réalisation du char, l’Allemagne pourrait concevoir le châssis et la France le canon par exemple. Que se passerait-il si la France décidait de se lancer dans une opération militaire sans l’aval de l’Allemagne et que cette dernière refusait d’augmenter la production de chars ? Serions-nous contraints de supplier l’Allemagne pour mener nos opérations, ou même de les annuler et de nous soumettre ? Il est évident qu’un tel projet amoindrirait considérablement l’autonomie stratégique de la France, alors qu’aujourd’hui, la France est une des seules nations du monde à être capable de projeter une force à l’étranger, ce dont l’Allemagne ne peut pas se venter à l’heure actuelle.
De plus, ces programmes communs posent un problème de propriété industrielle. Que ce soit pour le MGCS ou le SCAF, pourrait-on choisir vers quels pays nous exporterions les appareils produits ? L’Allemagne pourrait décider de bloquer nos exportations dans le cas de divergences diplomatiques, qui existent déjà aujourd’hui. L’Allemagne pourrait également bénéficier des exportations et des relations françaises extérieures, ce qui réduirait la contrepartie de l’accord passé entre la France et un pays quelconque. Par exemple, la France renforce depuis des années ses liens avec l’Inde, notamment en lui vendant plusieurs dizaines de Rafale. Elle développe ainsi son positionnement en Indo Pacifique, renforce sa coopération et son interopérabilité avec l’Inde et améliore son image et son influence internationale. Offrir à l’Allemagne une partie de ces retombées reviendrait à diminuer celles qui reviennent aujourd’hui à la France seulement.
Deux programmes réalisés pour de mauvaises raisons
Tout d’abord, c’est pour des raisons politiques voire idéologiques que ces projets industrialo-militaires sont menés, et absolument pas dans un souci de performance industrielle. Le résultat ne peut donc aboutir qu’à des soucis capacitaires. En effet, chaque pays dispose d’une doctrine militaire différente, et les armements produits répondent directement aux besoins d’emploi. Deux besoins d’emploi différents conduisent à des caractéristiques évidemment différentes (longueur du canon, poids du char, épaisseur de blindage, vitesse, etc.). Des divergences apparaissent déjà lors des phases préliminaires puisque toutes les nations parties prenantes aux programmes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les effets à obtenir et donc sur les caractéristiques techniques des appareils. Les projets prennent du retard et battent de l’aile et récemment Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a annoncé être « toujours très réticent à entrer dans une logique qui fait qu’on va dépenser plus, qu’on sera moins performant et qu’on n’exportera pas ».
De telles initiatives pourraient avoir une cohérence si l’association était effectuée pour des raisons industrielles, à savoir utiliser les forces de chaque pays pour concevoir un appareil plus performant. Mais aujourd’hui, c’est le fantasme d’une armée européenne qui pousse à concevoir ce genre de programmes.
Quelles solutions pour la France ?
Malgré tout, il est possible de penser que nouer des partenariats industriels dans le secteur de l’armement pourra libérer l’Europe de sa dépendance au matériel militaire américain. En effet, l’Europe souffre d’une surpondération de l’armement américain dans ses importations, et notamment pour les pays européens appartenant à l’OTAN. Entre la période 2015-2019 et 2020-2024, les importations d’armement des pays européens membres de l’OTAN ont bondi de 106%, et la part américaine est passée de 52% à 64%. Selon une enquête parlementaire, 63% des importations allemandes sont américaines, 95% pour l’Italie et seulement 20% pour la France. Certes, le SCAF et le MGCS permettraient de limiter les importations d’armements américains en Europe, mais est-ce un besoin vital pour la France ? La France est le deuxième pays exportateur d’armes au monde et n’est pas dopée aux équipements américains. Il n’est donc pas judicieux de sacrifier notre autonomie stratégique dans le secteur de la défense.
La France doit continuer à exporter ses armements de qualité à travers le monde et les industriels français doivent continuer à produire : des matériels pratiques et bons marchés, par exemple le canon Caesar, pièce d’artillerie coûtant environ trois millions d’euros et appréciée pour sa portée de tir, sa puissance de feu et sa mobilité, et des matériels plus sophistiqués mais incontournables, par exemple les avions Rafales de Dassault Aviation.
Pour conquérir des parts de marché en Europe, et défaire progressivement les autres pays européens de l’influence américaine, il faut renforcer la coopération militaire, en augmentant les exercices militaires collectifs et en développant des forces conjointes. En faisant cela, les pays partenaires peuvent être tentés par souci d’interopérabilité, sur le long terme, d’acheter du matériel français. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les Belges, qui participent très régulièrement à des exercices avec la France et qui se fournissent aujourd’hui en grande quantité avec du matériel français.
Certes, les deux précédentes actions nécessitent du temps et de l’énergie pour produire des résultats, mais elles offrent à mes yeux des garanties certaines dans le secteur de la défense pour la France et permettront, à terme, de diminuer les importations d’armes américaines en Europe en renforçant l’usage d’armements français et à la marge d’autres pays d’Europe s’ils produisent de meilleurs matériels.
La solution pour la France pour remplacer les programmes industrialo-militaires européens nécessite donc des investissements militaires conséquents, une poursuite des exportations à l’échelle mondiale, et une augmentation des partenariats militaires en Europe associée à une volonté diplomatique à long terme. La France doit être vigilante, puisque ses voisins européens comprennent l’enjeu militaire des années à venir. Tous augmentent leur budget militaire. Tous investissent massivement dans leur armement. La France doit suivre la cadence si elle ne veut pas se faire distancer par d’autres nations, comme l’Allemagne, qui a annoncé avoir un budget militaire deux fois supérieur au nôtre pour 2026.
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