La dédollarisation à l’origine du remaniement de l’ordre économique mondial : mythe ou réalité ?

8/25/20256 min read

À l’image des États-Unis d’Amérique, le dollar américain jouit d’une position dominante dans les échanges commerciaux et les transactions financières dans le monde. Principale monnaie de réserve détenue par les banques centrales, cette dominance semble être remise en question et fait l’objet de vifs débats depuis plusieurs mois. En développant une analyse sur les conséquences que pourrait avoir ce phénomène dit de dédollarisation et en remettant en cause sa véracité, nous proposons à nos lecteurs de développer leur compréhension des relations parfois assez simples entre les monnaies et de prendre goût à l’analyse financière que nous estimons indispensable pour chacun à la fois en tant qu’individu et en tant que citoyen.


La forte activité économique des États-Unis, appuyée sur sa dominance diplomatique et militaire, a historiquement su créer la confiance des investisseurs étrangers. La demande de dollars américains et d’obligations du Trésor américain soutient l’économie américaine par le biais de flux de liquidité
constants. Ainsi, la baisse durable et importante de la demande de dollar américain, dite dédollarisation, et par extension le recul de l’utilisation de cette monnaie dans le commerce international et l’investissement, ne manqueraient d’impacter cette position dominante du dollar et des États-Unis. En effet, la part du dollar américain parmi les réserves de change a chuté d’environ 72% en 2000 à environ 56 % en 2024 (valeurs tenants compte de l’évolution des taux de change et des taux d’intérêt ; Arslanalp et al., 2024).


La dédollarisation se fait sentir principalement sur le marché obligataire : la baisse de la demande d’obligations du Trésor américain entraîne des rendements plus élevés, ce qui se traduit par des valorisations plus faibles des actions américaines. Le rendement du Trésor à 10 ans, en fait, a récemment atteint 4,5%, tandis que le Indice ICE USDX du dollar américain (référence financière qui mesure la valeur du dollar américain par rapport à un panier de six principales devises mondiales) a atteint fin juin 2025 son niveau le plus bas en trois ans à 96,97.


L’impact de la dédollarisation sur l’économie américaine peut être décomposé à la fois en des conséquences de court terme et en des perspectives de long terme : à court terme, un dollar plus faible entraîne – ceteris paribus - une hausse des exportations américaines. En effet, un dollar américain faible se traduit par le fait qu’un étranger (européen, par exemple) obtient plus de dollars pour un euro et les produits libellés en dollar américain deviennent donc relativement moins chers pour lui à acheter. La baisse du dollar signifie donc une hausse des revenus issus des exportations pour les entreprises basées aux États-Unis (et celles encaissant en dollar américain de manière générale). À plus long terme, cependant, cette situation devrait mener à des coûts d’importation plus élevés (inversement, un
Américain obtiendra moins de dollars pour une unité d’une monnaie étrangère plus forte) et par conséquent à l’inflation. Si l’inflation baisse la charge réelle de la dette fédérale des États-Unis, l’érosion du pouvoir d’achat, la perturbation du système des prix et la hausse des taux d’intérêts finiront probablement par ralentir l’économie américaine.


À long terme, les obligations du Trésor américain sont au cœur du phénomène de dédollarisation. En effet, la baisse durable de la demande de titres de dette de l’État américain peut s’expliquer soit par la baisse de confiance dans la solvabilité de l’État fédéral, a fortiori en raison de l’endettement nouveau (« One Big Beautiful Bill Act ») acté récemment, soit par la volonté de gouvernements étrangers de réduire leur dépendance vis-à-vis du dollar et de réduire le volume de ressources financières mises à disposition aux États-Unis sur fond d’ambitions géopolitiques croissantes. La baisse de la demande du dollar américain est également susceptible de réduire les revenus de seigneuriage ainsi que de miner
le « privilège exorbitant » des États-Unis. Ce dernier, qui a été remis au goût du jour récemment, est relativement simple à expliquer : la puissance économique des États-Unis fait de ces derniers un débiteur solvable, c’est- à-dire que ses créanciers font confiance en sa capacité de rembourser sa dette. Ainsi, les titres libellés en dollar, dont les premiers sont les obligations du Trésor américain, bénéficient d’une demande soutenue de la part d’investisseurs étrangers et permettent aux entreprises et à l’État américain de se financer à faible coût. Ce flux constant et soutenu de fonds à destination des États-Unis – étant donné que les créanciers fournissent des dollars à l’État ou aux entreprises américaines en tant qu’émetteurs contre l’obtention d’un titre de dette – permet donc à l’économie américaine de soutenir son niveau de dette ainsi que son déficit commercial année par année. Dans sa qualité de monnaie « très » demandée, le dollar américain est ainsi devenu une monnaie de réserve détenue par les banques centrales parmi ses réserves de change, ce qui soutient à son tour la demande.


Inversement, le niveau de dette publique désormais atteint pourrait nuire à la confiance que l’ont les investisseurs dans le dollar américain et donc entraîner une baisse de la demande de dollars et de titres de dette américaine - à condition qu’il y ait des actifs alternatifs considérés comme étant aussi sûrs que le dollar américain lui-même. En ce sens, la Russie a réduit ses avoirs en obligations américaines de 84 % entre mars et mai 2018 et les a maintenus à ce niveau depuis, réaffectant ses réserves vers le renminbi et les obligations d’État chinoises (Liu et al., 2022).


Les tendances de dédollarisation que nous constatons contraignent non seulement l’État et les entreprises américaines à faire face à une baisse de disponibilité de crédit, mais mèneront le système financier international vers la multipolarité, traduisant ainsi un changement de l’équilibre mondial des
pouvoirs. A plus forte raison que le recours à des devises de plus en plus diversifiées dans le commerce et dans l’investissement restreindra l’applicabilité extraterritoriale du droit américain sur les transactions financières et atténuera donc le pouvoir des États-Unis d’infliger des sanctions
économiques à d’autres pays. Quant à la position des USA en tant que puissance économique et militaire, cependant, les données montrent que la part des États-Unis dans les flux de capitaux mondiaux ont augmenté pour atteindre un tiers en 2024 (Lane, 2024). La diminution durable et soutenue de la demande de dollars américains ne deviendra probablement un phénomène important qu’à l’horizon de plusieurs décennies.

Reste alors à souligner les efforts entrepris par la deuxième administration Trump pour contrecarrer cette tendance amorcée. Alertée sur le niveau de la dette fédérale et sur le besoin constant en fonds de l’économie américaine, celle-ci a fait entrer en vigueur le 18 juillet dernier le GENIUS Act, loi qui établit désormais un cadre légal pour les stablecoins (cryptoactifs dits stables car étant adossés à une monnaie fiduciaire) rattachés au dollar américain. Les émetteurs de ces cryptoactifs seront obligés de couvrir leurs réserves en US stablecoin à cent pourcent par des actifs liquides, à savoir des dollars américains ou des obligations de court terme du Trésor américain. Ainsi, cette loi vise explicitement à stimuler la demande de dollars américains.


Nous traiterons dans un deuxième temps les conséquences de la dédollarisation sur le marché des
matières premières.
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la base de ce document.

Arslanalp, S., Eichengreen, B., & Simpson-Bell, C. (2024). Dollar Dominance in the International
Reserve System: An Update. International Monetary Fund.

https://www.imf.org/en/Blogs/Articles/2024/06/11/dollar-dominance-in-the-international-reserve-
system-an-update

Lane, R. (2024). De-dollarisation: Shifting sands in global finance. BNP Paribas Wealth Management.

https://wealthmanagement.bnpparibas/ch/en/your-goals/wealth-focus/de-dollarization-forex-dollar-
finance.html

Liu, Z. Z., & Papa, M. (2022). Can BRICS De-dollarize the Global Financial System? Cambridge:
Cambridge University Press.
https://doi.org/10.1017/9781009029544