La dédollarisation à l’origine du remaniement de l’ordre économique mondial : mythe ou réalité ? (Partie II)

9/8/20255 min read

La semaine dernière, nous avons abordé la notion de dédollarisation, à savoir la baisse durable et importante de la demande de dollars américains comme principal moyen d’échange dans le commerce international et comme monnaie de réserve détenue par les banques centrales. Nous avons aussi discuté la véracité de ce phénomène et son impact sur le marché obligataire. Nous avions remarqué
en guise d’introduction que cette série d’articles a vocation à proposer à nos lecteurs de développer leur compréhension des relations parfois assez simples entre les monnaies et de prendre goût à l’analyse financière, domaine de réflexion que nous estimons indispensable pour chacun à la fois en tant qu’individu et en tant que citoyen. Voici alors la continuation de notre analyse qui se penchera cette fois-ci sur la question de l’impact de la dédollarisation sur le marché des matières premières.


Nous constatons que la demande pour les devises d’économies émergentes a augmenté sur le marché des changes ainsi que la demande de métaux précieux de ces derniers (Liu, 2022). Cette tendance s’appuie sur l’ambition affirmée de certains pays émergeants, dont notamment les États BRICS, de se détacher du voire de concurrencer le dollar américain. A titre d’exemple peut être citée la part du dollar américain dans le commerce bilatéral entre la Chine et la Russie qui a chuté d’environ 90 pourcents en 2015 à 46 pourcents en 2020. La Russie, la Chine et l'Inde figurent parmi les plus gros acheteurs d'or depuis 1999 (Liu, 2022), tout en étant une force motrice dans la remise en cause de la domination du dollar américain grâce au développement de l'alliance BRICS (Arslanalp, 2023). La présence de grands producteurs de combustibles fossiles et de minéraux au sein de l'alliance BRICS, tels que la Russie, la Chine, l'Arabie saoudite et l'Iran, capables de négocier le règlement des transactions en devises autre que le dollar américain, souligne la puissance du potentiel de dédollarisation partant de l'alliance BRICS. Malgré ces ambitions, force est de constater que leurs marchés financiers restent trop peu profonds et trop peu développés pour attirer d'importants flux de capitaux.


Étant donnée cette position de faiblesse relative de leurs devises, les matières premières, en particulier l'or et l'argent, sont considérées comme des actifs fiables et sûrs car, entre autres facteurs, à l’abri de sanctions économiques. Notamment les métaux précieux ont et devraient continuer à bénéficier d'une hausse continue de leur demande. Dans ce contexte, il convient de noter que la dédollarisation, phénomène supposé en l’occurrence dont la véracité sera discutée plus loin, n’est pas la seule source de cette hausse, mais une force motrice parmi d’autres. En effet, l’inflation comme résultat de politiques monétaires expansives et de chocs d’offres négatifs, tel que nous avons pu les observer depuis le milieu des années 2010, ainsi que de diverses sanctions économiques représentent les principaux phénomènes contre lesquels les investisseurs ont recours à l’or et à l’argent. Si les matières premières libellées en dollar américain bénéficient de l'inflation et de l'instabilité géopolitique récentes, les problèmes liés au coût du stockage, à la liquidité et aux différents cadres juridiques nationaux représentent les limites les plus considérables à la capacité des métaux précieux à absorber pleinement la demande.


Le prix de l'or et les données du marché montrent que la demande d'or hors des États-Unis est élevée, en particulier dans le cas de la Chine, qui a réaffecté ses réserves à l'or après avoir réduit ses réserves en bons du Trésor américain (Ahmed, 2025). Nous pouvons donc considérer que l’investissement en or, notamment par les banques centrales, soit à la fois le moteur et une conséquence de la dédollarisation. En outre, la forte demande d'or au cours de la dernière décennie s'explique en partie par les taux d'intérêt proches de zéro voire négatifs dans de nombreuses économies avancées (Eichengreen, 2023), ainsi que par la confiance traditionnelle des investisseurs dans l'or en tant que valeur refuge, dont l'attrait a été renforcé par diverses crises économiques et géopolitiques, notamment en Ukraine et au Moyen-Orient, qui ont entraîné de fortes vagues d’inflation.


L'augmentation soutenue de la production de pétrole et de gaz aux États-Unis, telle qu’annoncée par le président Trump, réduirait les importations énergétiques de ce pays et diminuerait la quantité de «pétrodollars» dans le système financier mondial, affectant ainsi la liquidité du dollar américain. Cela pourrait encourager les pays exportateurs de pétrole de s'éloigner eux-mêmes du dollar américain (Hofmann et al., 2023). Le renminbi yuan pourrait bénéficier de ce mouvement, d'autant plus que la Chine détient une part importante dans l'exportation des terres rares fortement demandées dans le monde entier. Cependant, les inquiétudes concernant l'indépendance des banques chinoises, les limites de la convertibilité du renminbi yuan, la dévaluation récurrente de ce dernier par les autorités chinoises afin de favoriser l’exportation et le contrôle des capitaux sont fort susceptibles de freiner cette transition. La future prééminence d’une devise capable de concurrencer le dollar américain sera tributaire de la capacité du pays émetteur d’imposer cette devise dans son commerce extérieur et d’approfondir son marché de capitaux. En revanche, les pays qui seraient réticents à adopter de nouvelles devises dans le commerce extérieur, notamment celui de matières premières, seraient probablement contraints de commercer avec des pays intermédiaires, ce qui entraînerait une hausse des prix des matières premières.


Comme discuté dans la première partie de notre analyse la semaine dernière, la dédollarisation n’est pas d’une ampleur telle qu’elle a tendance d’être présentée. La profondeur du marché des capitaux américain et la convertibilité limitée de certaines devises jouent, parmi une multitude de facteurs, en la faveur du dollar américain. Aussi, l’administration américaine actuelle cherche activement à
renforcer la demande de dollars américains, tel que par le biais du GENIUS Act de juillet 2025, en obligeant les émetteurs de stablecoins de couvrir leurs réserves de ces derniers à cent pourcent par des actifs liquides, à savoir des dollars américains ou des obligations de court terme du Trésor américain.



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Arslanalp, S., Eichengreen, B., & Simpson-Bell C. (2023). Gold as International Reserves: A Barbarous
Relic No More? IMF Working Paper 2023/014. https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/202
3/01/27/Gold-as-International-Reserves-A Barbarous-Relic-No-More-528089

Ahmed, R., & Rebucci, A. (2025, January 15). A ‘reverse conundrum’ and foreign official demand for

US Treasuries. VoxEu. https://cepr.org/voxeu/columns/reverse-conundrum and-foreign-official-
demand-us-treasuries

Eichengreen, B. (2023, May 12). Is de-dollarization happening? VoxEU.
https://cepr.org/voxeu/columns/de-dollarisation happening

Liu, Z. Z., & Papa, M. (2022). Can BRICS De-dollarize the Global Financial System? Cambridge:
Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/9781009029544
Hofmann, B., Igan, D., & Rees, D. (2023). The changing nexus between commodity prices and the
dollar: causes and implications. BIS Bulletin 74 2023/04. https://www.bis.org/publ/bisbull74.pdf