Secteur public : Et si on changeait tout ?

Partie I - L’organisation des ressources humaines et la hiérarchie des postes

9/22/20257 min read

La philosophie générale

La fonction publique en France, en 2025, c’est 20% de l’emploi total du pays pour plus de cinq millions de fonctionnaires, contractuels et autres agents publics. Une part non négligeable d’entre eux preste dans la branche hospitalière et encore davantage dans les collectivités territoriales. Ce dernier poste est, de loin, celui qui a cru le plus rapidement et le plus fortement, bien au-delà de l’évolution de la population tricolore sur les quarante dernières années. C’est un sujet en soi, mais qui ne sera pas traité dans le cadre restreint de cette note.

A l’inverse, il est proposé ici de s’intéresser à la seule fonction publique d’Etat, celle qui peuple les Ministères, agences, organismes et autres émanations de l’administration centrale. Elle comporte naturellement aussi la police, l’armée, les services publics essentiels. Pourtant, ce qui retient l’attention - a fortiori en période électorale – est principalement lié aux fonctionnaires « de bureau ». Cibles faciles des discours politiques et autres « comités de la hache », ils représentent en effet une masse salariale conséquente, disposant en majorité d’un emploi à vie et d’une progression de carrière aussi rigide qu’automatique.

Pourtant, il est aussi d’acception commune que les métiers du public ne « paient pas », ou du moins payent de manière substantiellement moindre que leurs équivalents du privé (lorsqu’ils existent). Aussi, force est de constater que de nombreux agents de catégories basses ou intermédiaires, malgré leurs indiscutables mérites, connaissant une faible progression de carrière se soldant souvent par une stagnation plus ou moins prolongée à l’échelon supérieur de leur catégorie. Il n’est de surcroit pas rare qu’un agent de catégorie B soit amené à effectuer des tâches similaires à son collègue catégorie A, sans en recevoir en retour le bénéfice salarial. Dès lors, il n’est pas aberrant de tenter de poser les bases d’un autre système, conjuguant la nécessaire hiérarchie des postes avec une meilleure et plus juste reconnaissance de l’ancienneté et de l’expérience, y compris pour de simples assistants.

Pour cela, l’inspiration doit nous venir du modèle de fonction publique mis en place par l’Union européenne pour son personnel. Très bien rémunérés, embauchés au juste besoin, répartis selon des catégories, sinon simples, au moins pensées pour un juste équilibre des mérites et des tâches, il permet à tous les fonctionnaires européens quelle que soit leur institution ou leur fonction particulière d’avoir un référentiel commun et unifié

Enfin, même avec la seule fonction publique d’Etat, il est possible de proposer des pistes de réformes profondes, sérieuses et qui transformeraient littéralement la manière de penser le service public. Par ricochet, ces mesures influeraient sur les autres versants du public – territorial en premier lieu. Dans la vision délinée ci-après, les collectivités garderaient la main sur leur recrutement et leur organisation mais devraient appliquer le même système de catégories, grades et rémunérations.

Le chamboule-tout : la suppression du cadre actuel

Le cadre actuel est, ici, appelé à être substantiellement revu, et ce en plusieurs façons :

Premièrement, la suppression du statut de fonctionnaire et des différentes catégories associées tels qu’on les connait aujourd’hui. Le terme de « fonctionnaire » resterait dans le langage pour désigner un agent public mais ne renverrait pas à un statut particulier. Ce serait donc la fin théorique de l’emploi à vie et un rapprochement conséquent avec le régime de CDI tel qu’existant en droit privé (en termes de cotisations, de temps de travail et de congés). En pratique, un agent efficace qui fait son travail n’aurait pas de raisons particulières d’être poussé vers la sortie ; mais cela flexibiliserait les options de management possibles en cas de travail peu satisfaisant d’un personnel. A noter toutefois que des aménagements actuellement existants - passerelles entre services, disponibilité, détachement – doivent pouvoir continuer à exister.

Deuxièmement, les catégories A+, A, B et C seraient supprimées et remplacées par une rémunération et un avancement au grade, ce qui permettra de supprimer des échelons et de refondre la grille des rémunérations en partant d’une feuille blanche. La partie ci-dessous ainsi que l’annexe au présent document fournissent davantage de précisions.

Troisièmement, les payes méritent d’être revalorisées, afin de donner l’envie du public. Si la question de l’attractivité est évidente pour des métiers en tension, touchant au régalien ou au médical, les besoins en administration générale ne peuvent pas non plus faire l’impasse sur des profils compétents. Il s’agit donc de recruter bien moins mais mieux, en portant prioritairement les efforts sur les salaires les plus bas (ex-catégories B et C). A noter qu’un travail sur les primes est aussi à effectuer, mais qui dépasse le cadre de cette note.

Enfin, tous les corps seraient supprimés. Les nouveaux entrants seraient recrutés pour un poste - avec possibilité d’évolution dans d’autres structures publiques - mais sans rattachement à un corps comme avant. Ce faisant, on serait recruté comme agent de l’Etat ou d’une collectivité, et non comme membre d’une « corporation » particulière dotée de spécificités statutaires. Seraient donc supprimés, entre autres et pour illustration, les statuts d’administrateur territorial, de conservateur territorial, d’ingénieur territorial, d’administrateur civil (INSEE, DGSE…) et autres attaché d’administration (Ville de Paris par exemple). Les administrateurs du Parlement pourraient aussi, dans l’idée, être concernés avec un alignement de leurs conditions sur le régime « commun » - moyennant les précautions d’usage en matière de séparation des pouvoirs. En somme, l’actuel « administrateur d’Etat » trouverait une conception bien plus large de son champ d’application, renvoyant à l’ensemble des personnels de la catégorie AD (voir ci-après).

La réforme clé : passer d’une organisation en catégories à un fonctionnement au grade

D’emblée mentionnons que la suppression des catégories se verra remplacée par une bipartition des tâches, non pas pour simplement reformater de manière cosmétique les ex-A, B ou C mais pour distinguer la nature des responsabilités exercées. Cela donnerait ainsi :

- Les AD (administrateurs, directeurs, hauts-fonctionnaires, responsables de politiques publiques, etc.), correspondant grosso modo aux anciens catégories A et A+. Emplois de conception et d’impulsion des politiques publiques, ils impliquent en général l’exercice d’une certaine responsabilité et de sujétions inhérentes à leur poste.

- Les AST (assistants, support, techniciens, opérateurs, etc.), correspondants aux anciennes catégories B et C. Il s’agit d’emplois de mise en œuvre et d’appui aux politiques publiques, sous le contrôle des AD et qui n’impliquent pas l’exercice de la responsabilité.

Corollaire de la philosophie générale, les déterminants de la paye et de la carrière doivent se faire moins en fonction de la catégorie que du grade. C’est un changement crucial pensé pour mieux récompenser l’expérience du poste et le service rendu à la fonction publique. Il parait en effet assez normal qu’un agent AST ayant des décennies de service et d’accumulation des compétences puisse disposer d’une pays plus importante qu’un jeune AD fraichement lauréat d’un concours ; en ce que l’AST sera un soutien indispensable pour le bon exercice des fonctions de l’AD. Cela permettra de rémunérer à la juste valeur des agents dits « d’exécution » mais qui font un travail analogue à celui de leurs collègues officiellement mieux placés, et donc de récompenser l’implication réelle des agents publics – au-delà du seul grade. Ainsi, un AD du nouveau système pourra toucher moins qu’un AST selon le grade de ce dernier, notamment en cas de carrière déjà bien entamée (AD 6 vs AST 8, voir le tableau en annexe).

Cependant, la différence entre AD et AST résidera, outre la nature des fonctions et du management exercé, dans le grade d’entrée. Ainsi, un assistant de premier grade pourrait voir sa carrière progresser, par exemple, jusqu’au grade 9 (voir annexe). Nature plus élevée des fonctions et des responsabilités faisant, l’administrateur débuterait au grade 6 et jusqu’à 13, le maximum. Le tout pouvant être ajusté selon la nature du poste désiré et le concours adéquat : entrée à AST 3 ou 6 en cas de recherche d’un profil plus expérimenté ou formé, à AD 7, 8, 10 ou plus en cas de profil de direction spécifique.

Aussi, chaque grade comporterait un nombre d’échelons variables, sans doute à déterminer en concertation avec les syndicats, mais qui ne saurait aller au-delà de trois ou quatre par grade. Ceci, afin de pouvoir déterminer une période de service d’un à trois ans par échelon avant promotion.

Mentionnons enfin que cette réforme ne doit rien enlever au bien-fondé des concours internes.

Précisions subsidiaires :

Pour la fonction publique hospitalière (FPH) enfin, les postes de directeurs d’hôpital ou assimilés seraient requalifiés en administrateur (selon le grade et l’ancienneté). La rémunération serait donc identique quel que soit l’établissement puisque la direction de celui-ci se ferait nécessairement à partir d’un certain grade. Les fonctions d’attaché pourraient être requalifiées en AD ou AST selon la pertinence des tâches. Dans tous les cas, cela n’enlève rien au besoin de diminuer le nombre de fonctions administratives dans la FPH, qui croit au détriment du personnel soignant.

Pour le personnel des cabinets ministériels et autres postes liés à un mandat d’élu ou de ministre, l’échelle proposée pourrait très bien s’appliquer là aussi, créant ainsi un référentiel unifié et (un peu) moins arbitraire. Un assistant parlementaire correspondrait à la catégorie AST ; un conseiller ministériel à un AD – le tout modulé en grade par le décideur selon le profil et les besoins propres.

Si le statut de fonctionnaire est, ici, appelé à disparaitre cela ne signifie en rien l’abandon d’une procédure de concours spécifique. Pas plus que le comblement de postes provisoirement vacants par des agents contractuels. Ces derniers, et à l’inverse du modèle européen, seraient payés à un salaire strictement identique à leurs collègues fonctionnaires. Un contractuel recruté en AD ou en AST à un certain grade toucherait les mêmes émoluments et verrait une évolution de carrière durant la période de son contrat – évolution limitée attendu la nécessaire limitation de temps que le contrat doit imposer.

Points-clés

- Suppression du statut de fonctionnaire, des corps et des catégories existantes ;

- Refonte du modèle hiérarchique avec des catégories moins déterminantes et une priorité donnée au grade, afin de mieux récompenser l’expérience ;

- Application initiale à la fonction publique d’Etat mais avec une déclinaison pour les versants territoriaux et hospitaliers.