Secteur public : Et si on changeait tout ?
Partie II- Le recrutement des agents publics et les concours d’accès
9/30/202511 min read


La philosophie générale
Dans la lignée de la précédente note portant sur la refonte du système hiérarchique et des grades dans la fonction publique, il est proposé ici de s’intéresser aux modalités de recrutement et au concours donnant accès aux charges publiques.
Le modèle français fait la part belle à un système de formation des élites administratives fondé sur des attendus méthodologiques qui, malgré de multiples réformes claironnées, peuvent à certains égards être considérés comme dépassés. Surtout, cela constitue un goulet d’étranglement incarné comme nulle autre entité par un seul établissement - au détriment de l’apport que constitue la diversité des profils. Ainsi, l’Institut national du service public (INSP, ex-ENA) est le vivier de recrutement quasi-unique pour les futurs administrateurs de l’Etat et autres hauts-fonctionnaires. Ce faisant, il perpétue un moule de pensée uniforme sur ce que doit être l’administration et comment elle doit fonctionner. Comment, en effet, demander à des gens qui ont fondé leur carrière et leur réussite sociale sur une manière de fonctionner de renverser eux-mêmes la table et priver d’effet ce qui leur a permis d’exercer des responsabilités ? Qui plus est quand ils n’ont raisonné que sur ces seules logiques voire ont eux-mêmes enseigné aux aspirants fonctionnaires à faire la même chose et les ont évalués sur cette base. A ce titre, la « suppression » de l’ENA annoncée dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes en a été le syndrome pathologique : des révisions relativement contenues et un changement de nom qui n’ont pas touché au principal.
Ainsi, cela entretient un effet délétère qui est celui du corporatisme et du lobbying intense en faveur du statu quo – et au détriment de toute volonté de changement pour un système plus juste et plus efficace. Les alumnis de l’INSP / ENA, en majorité stalinienne aux emplois de direction d’une certaine séniorité sont ainsi un levier d’influence puissant et ont, aujourd’hui, le pouvoir – sinon de bloquer – au moins d’influencer très substantiellement toute aspiration ministérielle ou parlementaire visant à faire bouger les lignes. Ce faisant, cette méthode de fonctionnement devient peu à peu contraire à ce dont l’administration française a besoin pour se réformer et pour dépasser les cadres conceptuels hérités du passé. A ce stade, il est important de préciser que la création de l’ENA n’est pas en soi une erreur, la France de 1945 le nécessitait ; le premier quart du 21 ème siècle sans doute moins. Il est cefaisant impératif d’ouvrir le recrutement des emplois hauts-placés à des personnalités extérieures au moule de pensée et d’action constituée par l’école de Strasbourg – afin d’apporter de nouveaux référentiels utiles à l’action publique et éviter le conservatisme qui empêche de moderniser efficacement l’administration.
Au surplus, et alors que les contractuels ont vu leur place augmenter dans des proportions extrêmement importantes depuis la loi de 2019, il ne serait pas superflu d’adapter les procédures concourant à leur recrutement, en rendant celles-ci un peu moins « hypocrites ». Par-là, comprendre qu’un ministère / une DG est obligée de publier une annonce visible à tout citoyen même si le responsable sait déjà qui il veut voir à ce poste – notamment dans le cas d’une mobilité interne. Ce faisant, l’aspirant candidat y perd du temps et de l’énergie. L’absence totale de réponses dans la majorité des cas est aussi un facteur potentiellement démotivant et créateur de ressenti.
Le chamboule-tout : le compte unique, l’opérateur unique
En propos linéaire, et à des fins de bonne compréhension du propos, précisions que le modèle de réforme présente une organisation basée sur un opérateur unique pour les ressources humaines de la fonction publique d’Etat (« DG RH » - en remplacement des services existants dans chaque DG / ministère). Nous aurons l’occasion de revenir sur la plus-value d’une telle création dans une prochaine note. Admettons donc ici son existence.
Dans la suite logique de ce qui a été dit, l’INSP devrait être supprimée, en ce que son enseignement et la logique de sélection sous-jacente cumulent bien plus les inconvénients que les avantages. L’objectif est d’en finir, pour de bon cette fois-ci, avec le « moule » de la haute fonction publique – en n’en recréant logiquement aucun nouvel artefact. A la place, l’objectif est de mettre en place un « EPSO à la française » - du nom de l’office européen centralisant la sélection des candidats à la fonction publique communautaire. Néanmoins, et en étant parfaitement conscient des fiascos rencontrés par l’office de Bruxelles, il s’agirait d’un EPSO fonctionnel, pensé pour répondre aux besoins nationaux. A ce titre, la DG RH possèderait en son sein une Administration des examens et concours (AdEC) chargée de centraliser l’intégralité des recrutements dans la fonction publique d’Etat.
Des fiches de besoin, exprimées par les ministères et/ou les services demandeurs seraient émises avec le nombre de postes voulus et l’AdEC organiserait ensuite le concours. Dans tous les cas, l’organisation générale ci-après décrite serait la même quel que soit le concours ; le contenu des épreuves et les questions demandées aux candidats varieraient simplement. En somme, une forme identique, un fond spécifique. Le cœur réflexif serait défini par le ministère demandeur (s’il est seul) ou en collaboration transversale selon les besoins recherchés (si plusieurs ministères demandent peu ou prou le même type de profil). L’objectif évident est de concentrer et de simplifier le plus possible la recherche de candidats pour les services recruteurs et la recherche de postes pour les candidats. A noter qu’il n’est pas souhaitable qu’une « liste de réserve » au sens européen du terme soit mise en place, en ce qu’elle comporte un trop grand nombre de candidats éligibles pour un nombre final de postes disponibles bien plus faible – le tout en mettant « en attente » les lauréats pendant un an ou plus. En revanche, un nombre maximum de candidats pouvant « valider » la seconde partie de la sélection serait défini, devant rester cohérent avec le nombre de places offertes suite aux entretiens.
Pour aller plus loin, on pourrait songer à faire de Choisir le service public (CLSP) l’interface unique réelle des offres publiées par les ministères et leurs DG. Aujourd’hui, une très grande majorité d’entre elles y sont déjà, mais bien souvent en redondance avec le site de recrutement spécifique au Ministère – deux offres, à deux endroits (voire plus) et pas de certitude absolue qu’un site soit plus riche en annonces que l’autre. Pour ce faire, recourir à CLSP pour la publication des annonces devrait devenir impératif, sans création de doublons. Un intranet CLSP spécifique aux ministères pourrait de même s’envisager sans grands déboires informatiques a priori. Pour ce qui est de la partie « candidature » en elle-même, l’intranet spécifique au ministère à l’avantage d’être bien maitrisé par les services RH locaux. Néanmoins, chaque entité à son propre site, ce qui complexifie la gestion des candidatures pour les candidats et la vue d’ensemble sur qui recherche quoi pour les services publics. La création décrite ici d’une DG RH pourrait donner la possibilité de mettre sur pieds un système de candidature généralisé directement via l’interface CLSP ; au lieu de se balader entre deux ou trois sites par annonce. En somme, une forme d’adaptation française du « compte EPSO » en vigueur à l’UE. Concernant les contractuels, il est proposé que, comme dans le système européen, les postes disponibles soient d’abord publiés en interne (intranet ministériel, fonction publique, etc.) avant de se retrouver sur CLSP en cas d’absence de profil pertinent. Cela permettrait enfin de limiter de manière conséquente les faux-espoirs donnés aux candidats.
Le concours rénové : exemple d’une procédure détaillée en rupture avec l’existant
Le cœur de la réforme consiste bien à réformer le modèle de concours tel qu’il est conceptualisé par les acteurs publics. En somme, réaliser une révolution copernicienne pour les recruteurs persuadés d’avoir le meilleur système possible, malgré des limites évidentes. Tous les recrutements s’effectueraient donc par un concours renouvelé, inspiré du modèle européen et supervisé par l’AdEC. Il serait exigé des candidats, selon le concours et les profils recherchés, une qualification minimale (brevet, bac, licence ou master) assorti le cas échéant d’une expérience préalable. Les tests abandonneraient la dissertation et le « bourrage de crâne » propre au système français et se focaliseraient sur un système en trois voire quatre parties, plus flexibles et devant raccourcir le processus tout en testant les capacités réellement utiles au poste recherché :
Une première partie de « tri » éliminatoire consistant en des tests de connaissances verbales et numériques (additionnés, éventuellement, de raisonnement abstrait). Ces tests ont pour objectif de s’assurer de connaissances honorables en maitrise de la langue, raisonnement et déduction logique et calcul mental – capacités transversales par excellence. Cette partie éliminatoire comportera aussi un QCM de connaissances sur le sujet visé par le recrutement pour les concours spécialistes ou un QCM de connaissances de l’administration et des politiques publiques pour les généralistes. Afin de tester correctement les connaissances et départager efficacement, entre 80 et 100 questions pourraient être posées (en une durée équivalente de minutes). Il pourrait être requis une majorité simple ou une majorité qualifiée (12/20 par exemple) à chaque test pour continuer le concours.
Une seconde partie qui comporterait, pour les candidats retenus, une épreuve écrite de qualité professionnelle c’est-à-dire une production en temps limité d’une note sur dossier assortie d’un communiqué de presse ou d’un court discours/éléments de langage à destination de la hiérarchie. Le but est de réellement placer le candidat dans une optique professionnelle et de tester ses aptitudes à livrer un travail de qualité dans un temps limité – loin du « bachotage » des dissertations.
Une troisième partie consistant en un entretien oral avec le futur employeur, fondé sur la personnalité du candidat, son profil, ses capacités, etc. A ce stade, le rôle de l’AdEC s’estomperait quelque peu pour laisser un jury composé des recruteurs concernés exercer. Eventuellement, une mise en situation collective complètera le processus de sélection pour les profils le requérant – sans doute avec les recruteurs concernés mais organisée par l’AdEC.
A noter que les premières et secondes parties peuvent se dérouler le même jour. L’épreuve par QCM (le matin) permettant une correction rapide - voire automatisée - des réponses, les candidats sauraient quasi-instantanément s’ils ont atteint le seuil-limite les autorisant à poursuivre avec la seconde partie, dans l’après-midi. Ces deux parties se dérouleraient sur ordinateur avec des interfaces dédiés et sécurisés selon les plus hauts standards. Les candidats devraient toutefois venir passer leurs textes en « présentiel » et seraient surveillés par des agents – aucun test depuis le domicile ne pourrait être réalisé (au contraire du système européen). La suite du processus se déroulerait à l’appréciation du jury, selon les compétences à faire ressortir – mais partout où cela serait faisable, le présentiel serait privilégié.
Enfin, un mot sur les concours internes et autres « deuxième » ou « troisième » voies d’accès qui existent. Le modèle décrit ci-dessus s’applique instinctivement à la voie générale - la plus connue et la plus présentée - mais peut parfaitement se décliner pour les voies d’accès internes réservées aux agents travaillant déjà dans la fonction publique. Le déroulé proposé des épreuves et les modalités de présentation et de réalisation de celles-ci n’auraient guère à varier. Concernant les voies d’accès pour publics spécifiques (type « talents »), visant essentiellement à augmenter la mixité sociale aux postes à responsabilité, la logique est la même – avec le même déroulé et le même type d’épreuves. La vraie question a trait à l’opportunité de maintenir des épreuves et des voies d’accès spécifiques. Le système européen ménage des adaptations dûment encadrées pour les personnes handicapées, mais dans le même ensemble commun aux candidats : un peu plus de temps pour faire l’épreuve, assistance pour l’utilisation de l’interface, etc. Ce faisant, garder des aménagements est une nécessité pour l’égalité et l’équité des épreuves mais donner des voies d’accès spécifiques pour des « talents » ou des milieux sociaux particuliers semble être un traitement in fine peu justifié objectivement - attendu qu’il est hors de question de niveler par le bas le niveau des épreuves auxquelles les candidats de ces voies sont soumis. De toute manière, le caractère moins excluant socialement des épreuves présentées ici, combiné avec une plus grande opérationnalisation des attendus, permet sans doute de s’affranchir de tout régime particulier de ce type – en ce que le suivi d’une « prépa » se révèle moins justifié sous ce format.
L’application : l’exemple du concours d’accès à la Magistrature
Mettre des moyens dans le service public est une nécessité, particulièrement quand celui-ci en manque et que sa charge de travail croit sans cesse. Néanmoins, investir dans du capital humain, recruter et former peut se révéler contre-productif si le processus est mal pensé et/ou que les « mauvaises » personnes accèdent aux postes-clés. Ainsi en est-il de la justice, où ne nous reviendront pas sur les multiples accusations de partialité d’une partie de ses servants. Mentionnons simplement que pour s’assurer du sérieux de Thémis, gage suprême de crédibilité aux yeux de la société, les conditions et les modalités du concours de l’ENM seraient réformées. Il n’y aurait en effet aucune raison que les Administrateurs de l’Etat soient recrutés par la DG RH mais que les administrateurs de la Justice ne le soient pas. Il doit par exemple devenir nécessaire de justifier, premièrement, d’au moins cinq ans d’études universitaires pour le présenter. Contre trois aujourd’hui – héritage d’une période où la massification du Supérieur n’était pas ce qu’elle est devenue. Justifier, deuxièmement, d’une durée d’études en droit d’au moins quatre années : sous forme d’un parcours complet en droit de cinq ans ou alors d’une durée d’études juridiques de « trois ans + un » (par exemple, une licence de droit puis un master non-droit et une année de prépa ENM post-master). L’objectif est de recruter des personnes réellement compétentes qui ont étudié les facettes de la loi pendant un temps suffisamment conséquent. En corollaire, il s’agit d’éviter le « syndrome SciencesPo », avec des étudiants n’ayant fait que deux ans de droit (un master) mais doté d’une préparation intégrée à leur école et qui réussissent le concours malgré leurs moindres compétences juridiques cumulées. C’est d’autant plus problématique que ce type d’étudiants à une probabilité d’être politisée – activement ou passivement – supérieure à la moyenne, ce dont la justice n’a vraiment pas besoin.
En outre, le format du concours doit être (légèrement) revu pour ne faire place qu’à des sujets ayant trait à la fonction de magistrat, par exemple en supprimant l’épreuve de Connaissance et compréhension du monde contemporain au stade de l’admissibilité. Ceci dit, et dans la droite lignée de la révision générale des concours et de la fonction publique mentionnée ci-avant, le format du concours de magistrat doit s’intégrer avec ce nouveau modèle : moins d’épreuves, mais plus techniques et jaugeant d’autant mieux les aptitudes réelles du candidat. Ceci, par exemple, avec des tests de jugement situationnel ou de raisonnement juridique en lieu et place des formats d’épreuves classiques (type dissertation ou commentaire d’arrêt - des exercices de style finalement assez éloignés du travail réel d’un juge). Ainsi, les épreuves de raisonnement verbal, numérique et abstrait pourraient se voir adaptées au profil attendu (vocabulaire juridique, etc.). L’épreuve écrite professionnelle pourrait mixer plusieurs attendus dans un grand rendu : analyse de cas, qualité du raisonnement juridique, connaissance générale des textes, rédaction/plan détaillé d’un projet d’arrêt. Enfin, l’oral pourrait servir à jauger le candidat sous certains aspects non évalués à l’écrit.
Points-clés
- Refonte complète du système de concours donnant accès la fonction publique d’Etat, pour le mettre entre les mains d’un acteur unique ;
- Refonte complète des épreuves de concours et des voies d’accès pour mieux tester les compétences opérationnelles utiles, sur le modèle européen ;
- Suppression de l’INSP, école destinée à la reproduction idéologique de méthodes administratives surannées. Refonte du concours de la Magistrature ;
- Centralisation de la recherche d’informations et des démarches relatives aux candidatures sur un site unique, en ce compris pour les contractuels.
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